Le mas délice
- Vous savez quoi ?
- Ben non, raconte
- Je suis allé aux Saintes
- Waou, le veinard ! les Caraïbes, les antillais, le zouk
- Et pourquoi pas le 'ti punch aussi ? Non, c'était la méditerranée, les gitans, la musique gipsy ... et le pastis (accessoirement)
- !!! ??? !!! (ndla : mutisme évocateur)
- Ben oui les Saintes Maries de la mer, en Camargue
C'était fin mai, venu pour y découvrir le pèlerinage gitan dont j'avais entendu maintes fois parler, j'y ai trouvé bien plus que cela : des briques qui telles les pièces d'un puzzle ont permis de construire quelque chose d'assez fantastique et unique. Elles s'appellent en désordre : Camargue, Saintes Maries, cabanes, gardians, nature, animaux, gitans, musique, Sara, insolite, le tout agrémenté d'une formidable dose d'amitié et chaleur humaine.
Ce fut l'occasion également de faire de nouvelles rencontres : quelques jolies gitanes venant d'horizons divers ainsi que quelques sympathiques et chaleureux gitans dont un, photographe, caravanier et troubadour à ses heures, qui devant un orgue de barbare rit.
Tout ce joli petit monde plus des invités ou rencontres fortuites, a en toute simplicité partagé, qui son temps, qui sa connaissance, qui sa musique, qui sa bonne humeur, ... de très bons souvenirs en fait.
Certains absents n'ont pas été oubliés et ont participé à l'évènement sans forcément s'en douter et je suis certain que leurs oreilles on sifflé et leurs yeux se sont ouverts à la lueur des cierges de la crypte allumés à leur intention.
Le Mas des lys est un délicieux endroit sur la route d'Arles, simple, propre et avec des patrons d'une rare gentillesse. Leur accueuil change de bons nombre d'endroits pourtant blindés d'étoiles et recommandés par tout guide censé ne pas s'égarer en route.
Mon BTwin (vélo) m'attendait car en raison du pèlerinage la pratique de la voiture s'avérait être plus que délicate et puis un peu de sport ne me dérange pas d'autant que ce mode de locomotion m'a permis de passer dans des endroits où la voiture aurait été un handicap rédhibitoire : l'étang des Launes ou celui de Vaccarès.
Peu après mon arrivée, à peine avec les clés de la chambre en main, je me vois être invité par les patrons à une fête gitane privée sur 2 soirées consécutives. L'organisateur n'est autre que Nicolas Reyes, chanteur des Gypsy Kings qui a choisi le mas pour recevoir famille et amis. Que tout cela commence bien, à peine suis-je arrivé, l'ambiance m'enveloppe.
Ne connaissant pas le milieu gitan si ce n'est par certains de ses représentants d'hier et d'aujourd'hui, médiatisés pour leur contribution dans le monde de la musique en particulier, j'avais en tête une image d'Epinal : le camp avec les roulottes védrines, les chevaux, les braseros, la musique et danse flamenca mise valeur par nombre de voix, guitares, danseuse et palmas. Heureusement des lectures appropriées puis des conseils avisés m'ont bien préparé car ce que j'ai vu était fort loin de mes premières pensées.
Les chevaux, sauf en de très rares occasions, s'appellent désormais Mercedes, Iveco ou autre Renault et se trouvent nombreux mais fiscaux sous le capot de gros véhicules parabolisés. La mobilité pour les non sédentaires en est accrue mais le modernisme s'il facilite les choses en réduisant la pénibilité a forcément un impact sur les traditions.
Le peuple gitan est constitué de différentes communautés avec des origines diverses et certains mélanges, fusions ne se font pas ou ne se font plus pour différentes raisons et ce au détriment de la reconnaissance et de la légitimité de représentativité. C'est dommage de renforcer ainsi le caractère minoritaire au lieu de véhiculer une image communautaire forte qui contribuerait à considérer autrement les gens du voyage. Mais je n'en connais pas assez, c'est un ressenti et probablement que d'autres paramètres m'échappent.
La ville est animée malgré des pluies torrentielles qui ont fait fuir nombre de mobile homes et caravanes, l'eau ayant envahi et rendu impraticable certains emplacements. Et dire que pendant ce temps là de beaux parkings goudronnés, vides et surveillés par la police n'ont pas été réquisitionnés même pour un dépannage temporaire. Le ton est donné et depuis longtemps : les gens du voyage ne sont plus les rois en ce royaume, tout juste bons à attirer les touristes pour engraisser un nouveau souverain. Pour la fête des gitans, ceux-ci ne sont pas à la fête c'est le moins qu'on puisse dire.
L'ambiance est chaude parfois mais pas survoltée et avec la musique les festivités reprennent leurs droits. Organisée, comme sur les terrasses de certains restaurants ou spontanée dans différents emplacements, elle innonde les lieux, de chants, d'accords plaqués et de compas percutés sur des guitares, de mélodies jouées avec brio par un violon, un accordéon ou un xylophone.
Que j'ai aimé ces différents styles sauf par contre je dois l'avouer des reprises techno dont raffolent les jeunes mais qui n'ont plus vraiment grand chose à voir avec la musique gitane ou autre d'ailleurs. Je sais qu'il faut vivre et vendre ses compositions pour cette raison mais que j'aurais aimé pouvoir entendre Négrita chanter des compositions traditionnelles, avec la voix qu'elle a cela doit valoir le déplacement. Bravo à tous car connus ou inconnus ils ont su donner à ce pèlerinage une couleur d'authenticité (pour le novice que je suis) même si très empreinte de modernisme. Merci aussi à Ricardo et José pour leur prestation autour d'un barbecue, un délicieux moment savouré, épicé à souhait. Une voix chaleureuse accompagnant une belle guitare Alhambra (fameux luthier espagnol) vivante et généreuse : un joli duo.
Et la fête gitane au mas des Lys me direz vous ? Oui j'y suis bien allé mais il n'y a aura pas de photo car une fête privée ce n'est pas un concert en public et en tant qu'invité j'ai jugé opportun de ne pas utiliser mon appareil. La première soirée fut difficile à aborder pour moi car effectivement je pensais assister à un concert privé. Tout faux le Lao, en fait c'était une réunion de famille et d'amis ou la musique, la danse servent de connecteurs, ou même titre qu'une délicieuse assiette assortie d'un bon verre. Bien sûr il y avait des guitares, des chants, des danses mais tout cela semblait bien loin du star system sauf peut être pour une invitée très particulière qui "s'la pétait grave".
. La seconde soirée fut plus musicale que la première et les joutes vocales sans aucune rivalité montaient crescendo pour finir en apothéose. Impressionnant, même si, bien des années auparavant un prestigieux guitariste m'avait séduit.
C'était en 67, au gala de l'Unicef, un gitan aux petites mains d'argent confirmait une carrière internationale qui lui fera quitter son Sète natal pour parcourir le monde et découvrir ses représentants les plus influents en politique, arts ou sciences. Manitas est au flamenco ce que Django Reinhardt est au jazz manouche : une référence incontournable qui a su trouver une notoriété au delà du monde gitan. Le revoir ici malgré l'emprise du temps fut un moment très apprécié.
Et puis il ya tout le reste qui mériterait encores de nombreuses lignes:
- la sérénité d'une Nina aperçue quelques instants près de l'église. Ridée, la peau burinée par les agressions du soleil et la rudesse d'une vie difficile et trépidante. Pas un sourire sur son visage, d'une grande beauté intérieure, il émane d'elle une force indescriptible.
- la solennité de la procession d'une Sara qui a fait remonter plein de souvenirs, à peine reconnaissable tant elle était vêtue de jupons et draperies.
- la merveilleuse découverte dune nature sauvage comme je l'aime, que ce soit à cheval, a vélo ou à pieds.
- les cabanes menacées qui bénéficient d'un sursis.
- les manades et gardians se côtoient avec respect dans la pure tradition camarguaise comme initiée par le père spirituel de cet espace : le marquis Folco de Baroncelli.
Bref un goût de trop peu et une forte envie d'y retourner même hors pèlerinage.